Alain Lambilliotte, exerce la peinture depuis près de quarante ans. « Peintre » il l’est si l’on considère que la peinture consiste à recouvrir une surface d‘une ou plusieurs couleurs, mais si on regarde de plus près la pratique de Lambilliotte déroge fortement aux règles du genre. Car dans l’art de quitter les sentiers battus des conventions et des traditions, on peut dire que c’est un maitre. Dès son entrée en « matière dans le champ de la peinture il s’est manifesté par un sens de la transgression et du déplacement qui témoignait d’une singularité et d’une originalité suffisamment forte pour être remarqué par le galeriste Lucien Durand , et participer à une importante exposition à l'Arc  « Paris Travaux 77 ». Il y présentait des « travaux » qui n’avaient du tableau que la structure et qui faisaient appel à des éléments relevant du dessin, de l’empreinte, de l’assemblage, donnant une matérialité à l’objet. En affirmant une dialectique de la partie et du tout. Je veux dire par là que ce qui faisait cadre faisait aussi dessin et structure. On pouvait, en voyant ses « peintures » penser à des « fenêtres » dans le rapport qu’elle entretiennent avec le pictural, mais aussi à l’élément mobilier qui ouvre nos murs ou encore à ces structures coulissantes propres aux intérieurs japonisants. Ils jouaient des contrastes dynamiques entre ce qui voile et dévoile sans pourtant rien donner d’autre à voir que ce qui relève du « geste » de la peinture : ligne et trace, transparence et opacité. Entre l’ornemental et l’analytique, il nous entrainait dans des situations plastiques ou se mélangeaient de façon totalement déroutante un sens de l’incertain et un art de la rigueur ; avec une bonne dose d’ironie en forme de discret pied de nez à l’esprit de sérieux.

Sans en avoir l'air il a anticipé dans sa pratique  beaucoup de démarches qui ont "fait" l'histoire récente de la peinture  et ont retenu l'attention  de nos institutions... comme un art de mélanger le décoratif et le déconstructif, une capacité à associer bricolage et logique constructive de l'œuvre,  programmation et aléatoire, le "brut" et le "fini".  Son travail a su profiter des expériences de Support Surface sans ignorer des recherches comme celles de la Pattern Painting  ou du Hard Edge. Mais il aussi mis (quasi au sens propre) d’autres cordes à son arc : un art d’accommoder les restes, d’agencer les chutes, de nouer des liens, croisant dans ses pratiques celles que d’autres convoquaient dans une économie du totémique ou du symbolique. Sans condescendance mais en refusant le simulacre. s’approprier des pratique archaïques ou artisanales ou industrieuses mais sans mimétisme ni gratuité ; plus comme objet ou territoires d’expérience et modes de productions possibles.

En France il a été un des premiers à intégrer la lumière néon à la fois pour ses qualités d'irisation chromatique que pour sa façon de contredire la netteté de la forme. Certaines de ses œuvres n’ont rien à envier à celle d'un  Keith Sonnier . Dans ces dernières  pièces, les couleurs fluo conjuguées au blanc dessinent et infirment le rapport  forme /fond dans des jeux extrêmement subtils. L'exposition  qu'il avait faite au 19, Crac en 2010 avait  vraiment impressionné ceux qui avaient pu la voir. Avec une économie de moyens il y atteignait le monumental. La simplicité ici servait la complexité des effets visuels, au service d’un jeu où l’espace était à la fois mise en gloire et en abîme.

Alain Lambilliotte a depuis longtemps compris que la peinture n’avait plus vraiment besoin du carcan du châssis, qu’elle pouvait cheminer dans les lignes serpentines de la couleur. Couleur dont l’éclat de ses artifices fait surgir la ligne qui se conjuguant au matériau qu’elle couvre investit le mur.

La couleur chez Lambilliote retrouve par éclat la tradition de la peinture ; mais pour s’émanciper, elle s’est libérée de ses carcans, et aussi de la soumission à l’image. C’est pourquoi il y a chez lui un bricoleur de haute culture qui sait retrouver le baroque dans les gestes de l’artisan, l’art du dessin dans les rainures d’une planche d’arbre, Le sens du décoratif dans les torsades d’un cordage.

C’est ce qui fait que ceux qui veulent bien se rappeler que l’art est aussi une question de regard, qu’un regard est forcement confronté à une histoire de la vision, des savoirs et des savoir-faire ne peuvent qu’être profondément ébranlés par son œuvre. Un œuvre qui sait, au delà de la modestie feinte de son auteur, associer avec tant d’intelligence métier et invention ; s’approprier dans ce qui est exogène à l’art ce qui lui permet de rebondir.

Philippe Cyroulnik
Directeur du Centre Régional d’Art Contemporain le 19 Montbéliard

 

 

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